Mille et une Vies : L'évaporé

**Le Johatsu **

Travailler dans de multiples pays offre la possibilité de découvrir les particularités de certaine culture. C’est le cas de la culture japonaise, riche et complexe, mêlant des traditions anciennes à des éléments modernes. J’ai souvenir d’un cas qui m’avait, à l’époque, particulièrement marqué.
Il s’agissait de retrouver les héritiers d’un homme d’affaire Japonais, qui compte tenu de sa date de naissance était décédé. Les recherches ont donc été lancées pour établir le destin du titulaire, par la production de l’équivalent de l’acte de décès, appelé "Shibo Todoke" et la recherche de son « Isan bunkatsu kyogi-sho », correspondant à notre certificat d’héritier. Mais très vite nous avons découvert que cet homme n’avait eu qu’un fils, qui avait repris l’entreprise familiale. Les affaires furent mauvaises et l’entreprise familiale disparue, tout comme le fils. En effet, toutes nos recherches restaient vaines et nous ne retrouvions aucune trace de cet individu. Devant mon incompréhension face à la situation, mon correspondant m’a alors expliqué que nous nous trouvions face à un « Johatsu ». Le terme "johatsu" signifie littéralement "évaporé". Ce terme désigne des personnes qui disparaissent volontairement, souvent pour échapper à des dettes, des relations personnelles problématiques, des problèmes de travail ou des situations sociales embarrassantes. Ce phénomène est unique par son ampleur et la manière dont la société japonaise le perçoit et le gère.

Une disparition « planifiée » : Les Johatsu planifient souvent leur disparition de manière détaillée pour éviter d'être retrouvés, ce qui peut inclure la liquidation de biens, la fermeture de comptes bancaires, et la création de nouvelles identités. Il existe même des entreprises qui offrent des services pour aider les gens à disparaître, appelées "yonige-ya" (entreprises de fuite nocturne). Elles aident à organiser des déménagements secrets et fournissent des conseils sur la façon de rester incognito.

Une nouvelle « vie » après la disparition : Beaucoup de « Johatsu » commencent une nouvelle vie dans des endroits éloignés ou dans des grandes villes où il est plus facile de rester anonyme. Ils trouvent souvent des emplois informels ou non déclarés pour éviter d'être traçables. C’est un choix de vie très difficile, car il peut entrainer une grande solitude et un sentiment d'isolement. Par ailleurs, l'instabilité financière et la précarité sont courantes parmi ceux qui choisissent cette voie. Aussi curieux que cela puisse paraitre, c’est une décision personnelle respectée dans une certaine mesure, en raison de la forte culture de la vie privée au Japon. La police japonaise n’entame généralement aucune recherche (hormis suspicion d’homicide), respectant ainsi les droits individuels à la vie privée. Pour les familles, c’est une immense douleur et un stress constant que de devoir vivre sans savoir ce qui est arrivé à leur être cher. Le phénomène des « Johatsu » est un aspect fascinant et troublant de la société japonaise, révélant des tensions sous-jacentes liées à la honte, à la pression sociale et à l'individualité. Il montre comment certains individus choisissent de se soustraire à une vie insupportable, malgré les énormes défis et les coûts personnels que cela implique.

Je ne peux m’empêcher de me demander si le destin de cet homme aurait été différent s’il avait eu connaissance, à temps, de ces avoirs en déshérence …